Ici et maintenant
Conflit nucléaire local, trou d’ozone global
Petit chimiste. L’équation d’un échange de missiles entre l’Inde et le Pakistan.
SYLVESTRE HUET
QUOTIDIEN Libération : mardi 8 avril 2008
N’espérez pas sortir indemne d’un lointain, régional et «mini» conflit nucléaire. Parmi ses conséquences, la perte massive d’ozone stratosphérique exposerait tous les êtres vivants des pays tempérés aux UV solaires, casseurs d’ADN et autres molécules de la vie. Cibles : la santé humaine et animale, la production végétale terrestre et le plancton marin. Démonstration, hier (1), par des spécialistes des sciences de l’atmosphère dans PNAS (la revue de l’Académie des sciences américaine). Ils se sont inspirés d’un scénario de wargame : Inde et Pakistan entrent en conflit nucléaire. Détail technique : l’échange de missiles correspondrait à environ 100 fois Hiroshima. Cette puissance est à leur portée et ne représente que 0,1 % de la puissance totale du stock d’armes nucléaires mondial. Quid du résultat ?
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Poussières. En mars 2007, des scientifiques américains avaient calculé le nombre de millions de morts immédiats et les dégâts à moyen terme pour l’agriculture mondiale (2) de conflits nucléaires «limités». L’article d’hier poursuit le travail en étudiant les conséquences sur la chimie atmosphérique d’un tel échange de missiles. On note, dans les deux équipes, la présence d’Owen Toon et de Richard Turco (université de Californie à Los Angeles), un vétéran des études des années 80 sur «l’hiver nucléaire» provoqué par une guerre entre Etats-Unis et URSS. Ces études prévoyaient que moins de 20 % de la couche d’ozone stratosphérique serait détruite par un conflit nucléaire Est-Ouest utilisant pourtant des arsenaux plus de 1 000 fois supérieurs au «mini» conflit régional étudié aujourd’hui. Mais ce résultat a semblé de plus en plus douteux, à la lumière des énormes progrès faits en chimie de l’atmosphère - sous le double effet du trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique et du changement climatique. Ces défis ont poussé à la mise au point d’outils de simulation qui révèlent aujourd’hui à quel point les dégâts qu’un conflit nucléaire provoquerait dans le fragile équilibre de la chimie atmosphérique étaient sous-estimés.
Lorsque les bombes explosent, expliquent les auteurs de l’article, elles injectent jusque dans la stratosphère d’énormes quantités de poussières, de suies, d’aérosols. Ces particules participent à d’intenses réactions chimiques et photochimiques. Très complexes, certaines vont détruire l’ozone ; d’autres, par rétroactions, vont en produire. Au final, l’une des conséquences serait la destruction rapide d’environ 20 % du total de l’ozone atmosphérique, proportion comprise entre 25 et 45 % aux moyennes latitudes et portée jusqu’à 75 % dans les hautes latitudes nord. Cette «déplétion», écrivent-ils, persisterait au moins cinq années. Et la reconstitution de la couche d’ozone prendrait au moins dix ans…
Non-prolifération. Avis aux partisans de la politique de l’autruche : les habitants de l’Europe seraient plus fortement et plus longtemps victimes de cette «déplétion»… que les Pakistanais ou les Indiens. Chimie et circulation atmosphérique obligent, c’est sous les tropiques que la reconstitution serait la plus rapide. Les leçons tirées de cette étude sont multiples. Elle souligne l’importance d’une politique de désarmement et de non-prolifération nucléaires, mais aussi que les rêves de géoingéniérie climatique (des scientifiques ont proposé l’injection artificielle massive d’aérosols dans l’atmosphère pour refroidir la Terre) pourraient, s’ils venaient à être réalisés, être pires que le mal.
(1) Michael J. Mills et al. PNAS du 8 avril 2008. (2) Libération du 3 mars 2007.
http://www.liberation.fr/transversales/futur/actu/319888.FR.php
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